Femmes en regard – Guerlain-
Chaque année, au printemps, la Maison Guerlain propose une exposition consacrée à la photographie. L’édition 2021 s’intéresse aux femmes à travers quatorze artistes de renommée internationale – mode, conflits, portraits… Cette exposition est accompagnée d’un cycle de conférences digitales leur donnant la parole. #LuxembourgFéminin a assisté pour vous à l’une des conférences à laquelle l’invitée était Christine Spengler.
Photographe de guerre, plasticienne et écrivaine française, Christine Spengler a couvert la plupart des conflits de la deuxième moitié du XXe siècle. Cambodge, Irlande, Iran, Liban… : au total, 14 conflits, plus que ce qu’aucun homme n’a fait.
“Photographe de guerre qui conte la vie” |
Sa première rencontre avec l’image a lieu en 1970, au Tchad, alors âgée d’une vingtaine d’années et accompagnée de son frère Eric, photographe de mode. Au cours de leur séjour, ils sont pris pour cible par des combattants Toubous : à ce moment, la jeune femme demande à son frère de lui prêter son appareil pour « témoigner ». Elle décide alors de devenir reporter de guerre pour défendre les causes justes.
Munie d’un appareil photo Nikon et d’un objectif grand angle, à l’image de son inspiration, l’artiste espagnol Goya, elle immortalise des scènes de guerre par des plans très larges. Elle donne à ses photographies la dimension du reportage par l’intégration de l’arrière-plan, manifeste du contexte.
Pour elle, cet art est le témoin des malheurs et des souffrances du monde. Etant contre la violence et le sang sur ses photos, elle fait le choix du noir et blanc et des visages de survivants pour montrer le drame et la noirceur et les lueurs d’espoir. C’est une « photographe de guerre qui conte la vie ».
“Une femme dans la guerre” |
Monde très peu ouvert aux femmes, Christine Splenger a rapidement su révéler ses talents de reporter de guerre et s’imposer parmi ses grands homologues. Être une femme en temps de guerre est un atout, car elle passe inaperçue. C’est ainsi qu’elle a pu entrer dans le monde des femmes voilées, en Iran ou en Irak et qu’elle a pris ses fameux clichés. En s’adaptant aux coutumes locales, elle a été acceptée par la femme de Khomeiny et est l’une des seules photographes au monde à être entrée dans l’intimité de l’ayatollah. Avec un appareil photo, elle se sent androgyne : elle a la force et le courage d’un homme pour se rendre sur le champ de bataille et la tendresse d’une femme par ce qu’elle capture.
Christine Spengler, Afghanistan, 1997, © Christine Spengler
Du noir et blanc à la couleur |
C’est en 1983 qu’elle photographie pour la première fois en couleur : ce sont des portraits de ses défunts, entourés d’objets personnels, de fleurs, de perles… pour faire accepter le deuil. Par la suite, elle réalise des photomontages colorés à chaque retour de reportage pour expier ses souvenirs de guerre et le sang : cela lui permet d’« abolir la barrière entre les vivants et les morts ». Les fleurs et la couleur montrent le triomphe de la vie sur la mort. L’écriture est également un moyen de s’exprimer. Pour la photographe, une image ne vaut pas mille mots, car elle ne permet pas d’exprimer le bruit, l’odeur et la douleur. Ainsi, elle se met à écrire pour en combler les lacunes.
Angéla Béron
Christine Spengler, Ibiza. Autoportrait, la sérénité́ retrouvée, 2009, © Christine Spengler