8 Oct

Le corps des femmes dans l’art contemporain

© Sebastien Grebille / ONT
© Sebastien Grebille / ONT

Votre magazine Luxembourg Féminin vient de fêter ses dix ans.
À cette occasion, nous avons interrogé l’évolution de la vie des femmes et le principe d’égalité hommes-femmes*.

On ne peut aborder un tel sujet sans évoquer la statue de la Gëlle Fra qui arbore fièrement sa couronne de laurier depuis 1923 en hommage aux soldats tombés au combat.

Symbole de paix, de résistance et de liberté cher au cœur des Luxembourgeois, la femme en or est bien plus qu’un traditionnel Monument du souvenir. Figure de l’Histoire luxembourgeoise, la Gëlle Fra n’a pas laissé sagement les années défiler aux pieds de son socle de pierre. Son histoire fut pour le moins mouvementée : sculptée par Claus Cito, elle est inaugurée en 1923, détruite par les nazis pendant la 2nde guerre mondiale, retrouvée en 1981, la statue originale est conservée au musée d’Histoire tandis qu’une copie trône sur la place de la Constitution depuis 1985. Elle est même envoyée à Shanghai pour l’exposition universelle de 2010.

En 2001, l’artiste croate Sanja Iveković réalise la sculpture Lady Rosa of Luxembourg, inspirée de la Gëlle Fra, à ceci près que la sculptrice la représente enceinte. Ce serait un doux euphémisme de dire que l’œuvre n’a pas été du goût de tout le monde. Lady Rosa a engendré une véritable polémique. Outre son ventre arrondi, l’allusion à Rosa Luxemburg et les inscriptions sur son socle (« La Résistance », « La justice », « Bitch », etc) ont été perçu comme une provocation et un manque de respect notoire envers la Dame en or, voire carrément envers l’Histoire elle-même.

Iconoclaste, partie prenante d’un art engagé et revendicateur, Sanja Iveković soulevait, à travers cette sculpture, la question de la place de la femme dans notre société.

Il est question ici de liberté : liberté de la femme, indépendante et pouvant disposer de son corps et liberté de l’art d’exprimer une opinion et d’interroger son époque.

Évoquant cet épisode mouvementé de l’histoire de  l’art au Luxembourg,  Karolina Markiewicz* dénonce une distance entre les Luxembourgeois et l’art contemporain : « Je pense que c’est le corps de la Gëlle Fra ou de Lady Rosa of Luxembourg qui ont toujours posé problème au public. Nos corps [celui des femmes ndlr] posent un problème, en général. Et le scandale provoqué par la Lady Rosa of Luxembourg de Sanja Iveković démontre que l’art contemporain à Luxembourg est problématique et qu’il y a aujourd’hui encore beaucoup de travail à fournir pour le rapprocher du public. Il faut absolument « entraîner » (dans le sens sportif du terme) les gens à voir de l’art contemporain qui ne doit pas forcément être plaisant. Il faut qu’ils puissent se confronter à cet art – que ce soit l’art plastique, visuel, sonore ou vivant. Et cette confrontation n’est pas une compétence en soi, c’est une expérience – elle a des fondations évanescentes qu’il faut toujours reconstruire ou reformer. Il s’agit de trouver toujours un nouveau passage entre ce que l’on voit, le ressenti et les mots. Ça demande en effet beaucoup d’entraînement, une curiosité presque constante, mais aussi de la patience et une certaine humilité – et la transmission bien sûr. »

Laetitia Collin

* Retrouvez les portraits d’Anik Raskin, Fatima Rougi et Karolina Markiewicz dans notre dossier « 2006 – 2016 : quels changements pour les femmes » paru dans le numéro n° 40 du magazine Luxembourg Féminin, paru en septembre 2016.

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